Voyage du CEFA en Sarre 2024
Voyage du CEFA en Sarre - „Großes entsteht immer im Kleinen“
Depuis sa création le CEFA organise régulièrement des voyages pour permettre aux membres de découvrir des régions d’Allemagne ou de France sous un angle économique, politique et culturel. Après Wetzlar (2022) et Berlin (2023) la destination choisie cette année a été la Sarre. Le voyage était organisé par Oliver Nass, Cécile Astier et Frédérique Genton.
Land le plus francophile d’Allemagne (faire du français la 2 ème langue d’usage après l’allemand est l’objectif officiel de sa "Frankreich-Strategie" depuis 2014), la Sarre change 8 fois d’appartenance entre 1792 et 1957, date de son intégration à la République Fédérale. Au cœur de l’Europe, il s’agit également d’un territoire d’industrie, en pleine transformation énergétique et numérique. C’est pour toutes ces raisons que le Club Economique Franco-Allemand de Paris - CEFA a intitulé son voyage d’étude 2024 « La Sarre – un laboratoire des interactions franco-allemandes entre économie, politique et relations : des mutations incessantes ». Un voyage qui a permis à une quinzaine de membres du CEFA ainsi qu’aux boursiers du programme « Tremplin » du CEFA pour de jeunes talents d’appréhender les enjeux du Land au travers d’échanges privilégiés avec des décideurs politiques et économiques de haut niveau.
Un Land pas comme les autres
La Sarre, région d´un peu plus d´un million d´habitants, située au carrefour de l´Europe et bordée par le Luxembourg, la Rhénanie-Palatinat et le Grand Est, possède une histoire riche et mouvementée entre la France et l´Allemagne. Durant la Première Guerre mondiale, la Sarre faisait partie de l´Empire allemand. Après la défaite de ce dernier en 1918, le traité de Versailles place la région sous administration de la Société des Nations, avec la France contrôlant ses mines de charbon. Un référendum en 1935 rend la Sarre à l´Allemagne nazie, et sa capitale Sarrebruck témoigne toujours de ce passé douloureux. Ainsi, au cours d’une visite guidée par Elke Christmann, la plaque commémorative du résistant Willi Graf se
dévoile au détour d’une église baroque, tandis que l’impressionnant château de la ville s’avère avoir été aussi un quartier général de la Gestapo. Après la Seconde Guerre mondiale, la Sarre repasse sous administration française avant de devenir un protectorat autonome sous contrôle économique de la France. En 1947, elle possède une monnaie propre, le franc sarrois, et une citoyenneté sarroise est même introduite en 1948. Des discussions pour l´intégrer pleinement à la France sont menées, mais un référendum en 1955 aboutit finalement au choix des Sarrois de rejoindre la République fédérale d´Allemagne, effectif en 1957.
Cette histoire complexe a fait de la Sarre un symbole de la réconciliation franco- allemande et de la construction européenne comme l’a rappelé Oliver Groll, Directeur Général de la Chambre d’Industrie et de Commerce de la Sarre (IHK Saarland).
Aujourd´hui, la Sarre continue de jouer un rôle actif dans les relations transfrontalières, avec des représentations à Paris ou Bruxelles. Elle occupe une place éminente au sein de de la « Grande Région », un espace européen de coopération regroupant institutionnellement des territoires de France, d’Allemagne,
de Belgique, ainsi que le Luxembourg.
La « Frankreich-Strategie » au cœur d’une politique sarroise de rapprochement franco-allemand
Pour promouvoir le bilinguisme en Sarre et redynamiser la coopération franco- allemande, la Sarre a mis en place une stratégie France, la « Frankreich-Strategie ». Lancée en 2014 et actuellement en cours d’évaluation, elle encourage l´apprentissage du français dès le plus jeune âge et favorise les échanges académiques et professionnels. Cette stratégie ambitionne de faire de la Sarre une région bilingue d´ici 2043. Comme l’a souligné le Secrétaire d’Etat Dr. Jens Diener lors d’un dîner de gala avec le Club des Affaires Saar-Lorraine, la Sarre abrite une multitude d’acteurs institutionnels, culturels et économiques qui font vivre le maillage dense du franco-allemand. Des exemples notables incluent le conseil culturel franco- allemand, le centre franco-allemand pour la cybersécurité, 40% de tous les jardins d’enfants franco-allemands (Elysée-Kitas), le programme pour la formation professionnelle « Pro Tandem », ou encore l’université franco-allemande, parmi de nombreux autres organismes et associations. En outre, la Ministre-Présidente de la Sarre, Anke Rehlinger exerce actuellement le mandat de Plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne, chargée des relations culturelles franco-allemandes. Enfin, si l’apprentissage en Sarre a dans l’ensemble diminué de plus de 60 à 51% en 2022, trois fois plus d’élèves y apprennent toujours le français par rapport à la moyenne nationale.
Une transformation industrielle ambitieuse
La Sarre a récemment mis en place un fonds pour la transformation doté de 3 milliards d´euros. Avec ses trois « i » (industrie, infrastructure, innovation), ce fonds vise à soutenir la transition économique et écologique de la région, en réponse aux défis climatiques, notamment la décarbonation nécessaire pour son industrie. Il s´inscrit dans une stratégie globale de modernisation et de diversification de l´économie sarroise, traditionnellement centrée sur l´industrie lourde, la sidérurgie et l’automobile. L’acier (20 000 emplois) joue un rôle prépondérant pour la Sarre comme l’a expliqué Jakob von Weizsäcker, Ministre sarrois pour les Finances et la Science. Décarboner la production de l’acier grâce à l’hydrogène vert et établir l’infrastructure nécessaire serait donc crucial pour mener à bien cette transformation (ou « Strukturwandel ») soutenue par le fonds, qui est destiné à financer des projets innovants dans divers secteurs clés, tels que les énergies renouvelables, la digitalisation, la mobilité durable, et l´économie circulaire. L´objectif est de créer un écosystème propice à l´innovation, favorisant ainsi la création d´emplois qualifiés et l´attraction d´investissements.
En parallèle, une partie de ce fonds est dédiée à la formation et à la reconversion professionnelle, afin de préparer les salariés aux exigences d’un marché du travail en pleine mutation. Ainsi, la Sarre mise sur la collaboration entre entreprises, centres de recherche et institutions éducatives pour réussir cette transformation comme la visite de la « SmartFactory » et du Centre allemand pour l’intelligence artificielle à Kaiserslautern en Rhénanie-Palatinat ont montré. Ce modèle de fonds pour la transformation peut – il faire figure de modèle au niveau européen ? L’avenir nous le dira.
Déployer l’intelligence artificielle dans les chaînes de production
Fondée en 2005, la « SmartFactory » est une initiative pionnière visant à créer des usines intelligentes, hautement flexibles et interconnectées, capables de répondre rapidement aux changements de la demande et d’individualiser la production industrielle à grande échelle. Elle est abritée par le centre allemand pour l’intelligence artificielle (DFKI), fondé en 1988. Basé à Kaiserslautern et à 8 autres sites en Allemagne, le DFKI collabore avec des universités et des entreprises pour développer des solutions innovantes en robotique, apprentissage automatique et vision par ordinateur.
Dans ce cadre, la « SmartFactory » est un véritable laboratoire vivant. Les concepts de la digitalisation, de l´automatisation, de l´intelligence artificielle et de l´Internet des objets (IoT) y sont expérimentés et appliqués en synergie. Les installations comprennent des lignes de production modulaires et reconfigurables, permettant de tester et de démontrer les technologies de fabrication de demain. L´objectif est d´optimiser les processus de production, de réduire les coûts et d´améliorer l´efficacité énergétique. De nombreuses entreprises phares comme Airbus, SAP, Volkswagen, Microsoft, IBM ou Daimler sont membre de l’initiative, constituée en association. Les projets conduits s’appuient d’ailleurs sur Gaia X, un projet franco-allemand de cloud européen qui permet ici de favoriser la coopération industrielle en réseau. La démonstration d’un des trois îlots de production Kuba, Java et Milos par Dr Jonas Metzger et son équipe sur place a permis d’illustrer le principe de « l´Asset Administration Shell » dans l´industrie 4.0, c’est-à-dire que chaque actif ou instrument est capable de se décrire lui – même, de façon autonome, afin de travailler en réseau de façon interopérable et transparente. Ainsi, la production est plus flexible, prévisible et sécurisée.
Enfin, en tant que centre de compétences, la « SmartFactory » facilite également le transfert de connaissances et de technologies dans un écosystème vers les petites et moyennes entreprises (PME). L’objectif est de les aider à moderniser leurs installations, y compris dans une perspective de durabilité, et à rester compétitives dans un marché mondial. Depuis Kaiserslautern, la « SmartFactory » façonne ainsi une vision pour la production industrielle a horizon 2030 et contribue à renforcer la position de l´Allemagne en tant que leader mondial de l´industrie 4.0. Chaque année, l’équipe participe notamment à un évènement phare, le forum technologique international de la foire de Hanovre.
Maintenir une production entreprise franco-allemande dans un contexte énergétique tendu
La visite du site de production à Blieskastel du groupe Hager par Dr. Andras Kretak et Johannes Hauck a permis de mieux comprendre les enjeux de production industrielle pour la France et l’Allemagne du point de vue d’une usine gourmande en énergie faisant face à la transition énergétique dans un contexte géopolitique difficile. Entreprise franco-allemande phare, Hager produit des solutions électriques et domotiques, incluant des systèmes de gestion de l´énergie, des dispositifs de protection électrique, des systèmes d´éclairage intelligent, et des solutions de contrôle d´accès et de sécurité. Le groupe, qui réalise 42% de son chiffre d’affaires en Allemagne et 12% en France, souhaite renforcer les synergies en lien avec la France. En effet, Hager anticipe des innovations importantes en matière de mobilité électrique, l’exploitation de nouvelles énergies renouvelables comme le photovoltaïque, ainsi que la définition de standards communs dans la rénovation thermique des bâtiments, qui sont des sujets d’intérêt autant franco – allemand qu’européen. Sur la base du traité bilatéral d’Aix-la-Chapelle, les projets prioritaires prévoient d’ailleurs la mise en place de davantage de coopérations industrielles paneuropéennes et de stimuler les investissements privés, notamment concernant les « projets importants d’intérêt européen commun » (PIIEC). Or, comme l’a fait remarquer Johannes Gauck de Hager Group, à part sur l’hydrogène les projets industriels communs en sont encore à leurs prémices. Il incomberait aux deux pays d’aller de l’avant et ensuite inciter d’autres pays à les rejoindre mais la volonté politique doit assurer que la collaboration industrielle peut aboutir. Entre Blieskastel en Sarre et Obernai en Alsace, le groupe Hager est ainsi au cœur des débats énergétiques franco – allemands et européens.
Passé et futur de la transformation structurelle en Sarre et en Europe
Stratégie France, fonds de transformation, intelligence artificielle, industrie et transition énergétique, la Sarre est en pleine transformation. Cette dernière est toutefois peut-être le mieux illustrée par son site phare, la « Völklinger Hütte », immense usine sidérurgique datant de l’apogée de l’industrialisation à la fin du 19 eme siècle. Unique site de son genre à être intégralement préservé au monde, le complexe sidérurgique qui s’étend sur plus de 6 hectares est également le premier « monument industriel » de cette époque à être inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Entre expositions temporaires, par exemple sur l’histoire du cinéma allemand, et vestiges des « Temps modernes », la visite du CEFA a permis de découvrir les anciennes chaines de production ainsi que le quotidien des ouvriers de ce site unique, qui ferme en 1986 pour des raisons de rentabilité. Depuis la terrasse panoramique, a près de 50 mètres du sol, la vue des hauts fourneaux en activité du groupe Saarstahl AG s’offre aux visiteurs, là où se joue aujourd’hui une partie de la bataille européenne pour la production d’acier sans carbone ou « acier vert ».
La Sarre comme laboratoire franco-allemand de demain
La Sarre s’est révélée aux participants au voyage d’étude comme un territoire qui porte bien sa devise, « Großes entsteht immer im Kleinen » (« Les petits ruisseaux font les grandes rivières ») ! Le plus petit des Lands d’Allemagne impressionne aujourd’hui non seulement par son histoire franco-allemande unique, mais également par son dynamisme politique, scientifique et économique face aux grands enjeux du 21eme siècle à la croisée du passé, du présent et du futur de l’Europe.
Jeanette Süß est chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l’Institut français des relations internationales (Ifri) à Paris. Après son double diplôme en affaires européennes de l’Université franco- allemande, elle a travaillé dans des fondations politiques et think tanks à Berlin, Bruxelles et Paris. Elle est membre de la deuxième promotion du programme « Génération Europe », programme de jeunes talents franco- allemands, mis en place en 2023 à l’occasion des 60 ans du traité d’Elysée, ainsi que le programme « Tremplin » du CEFA.
Boris Jaros est Cadre de direction à la Banque France et membre du CEFA depuis 2024. Actuellement expert national détaché auprès de l’Autorité bancaire européenne à Paris, il travaille en tant que « Policy Expert » sur les enjeux de finance durable et les risques climatiques. Diplômé de Sciences Po, de l’université Bocconi et du Collège d’Europe, il enseigne également les politiques européennes à l’IEP de Strasbourg. Il est membre de la première promotion de « Génération Europe » et du « Programme Tremplin » du CEFA.
Propriétés de l'événement
Date de l'événement | 07-05-2024 |
Date de fin | 09-05-2024 |
Prix individuel | Gratuit |